L’extrême droite au féminin ? Reconfigurations de l’électorat, des pratiques militantes et des représentations des femmes

Journée d’études « Actualité des études de genre »

Organisation : Lucile Girard, Maud Navarre, Brice Nocenti et Georges Ubbiali (LIR3S UMR 7366 CNRS-UBE)

 


APPEL À COMMUNICATIONS
[DL : 9 mars 2026]
[Version pdf de l’appel à communications]


Argumentaire

Les expressions du fascisme historique de l’entre-deux guerres sont clairement masculinistes. Dans l’Allemagne hitlérienne, les femmes se résument au triptyque KKK (Kinder, Küche, Kirsche pour « Enfant, Cuisine, Église »). Au point d’avoir le plus grand mal à pouvoir citer le nom d’une seule femme parmi les dirigeants politiques du national-socialisme (cf. Liliane Kandel, Rita Thalmann, Claudia Koonz), et quand bien même des femmes ont évidemment contribué à la reproduction de l’édifice du pouvoir nazi, comme par exemple la réalisatrice de films de propagande Leni Riefenstahl. Il en va de même dans le fascisme mussolinien, dont le corps musculeux du Duce est présenté comme la représentation idéale du fascisme en action (on fait allusion ici à une photo représentant Mussolini lors d’une campagne de récolte de blé en 1938). En France, le gouvernement de Vichy, dont la politique a été brillamment analysée par Francine Muel-Dreyfus, inscrit la femme dans un ordre symbolique immuable, à l’instar de la terre. La conception portée par Pétain et consorts a consisté à développer une vision mythique de l’ordre social qui se fonde sur l’ordre naturel des corps. Quelles que soient les variantes et les configurations nationales, l’extrême droite de l’entre-deux guerres ne considère jamais les femmes comme un sujet capable de penser et d’agir par lui-même. « La femme », vue comme un être subalterne, est destinée aux tâches domestiques et précédée (dominée) par les hommes.

Ce discours a longtemps été unanime dans l’extrême droite française (Dumon B., 2006 ; Bugnon F., Cleret et alii, 2024, Cleret, 2025) ou européenne. Suprématie de l’homme, mépris de la liberté des femmes et de leur droit à disposer de leur corps (s’illustrant notamment par le combat contre la liberté de l’avortement), opposition aux mouvements féministes, l’extrême droite s’est construite en exacerbant la virilité. Mais si cette configuration frontalement antiféministe a récemment gagné en visibilité avec les mouvements masculinistes, ou l’antenne quotidienne accordée à l’intégrisme catholique dans les médias d’extrême droite, elle coexiste aujourd’hui avec des formes plus complexes d’instrumentalisation, d’articulation, et parfois d’acceptation d’une partie des conquêtes sociales du mouvement des femmes (non revendiquée et vécue sur le mode de l’évidence, comme pour l’accès des femmes au salariat par exemple).

Plusieurs indices dans les évolutions récentes suggèrent des déplacements qu’il nous semble important d’analyser. Le premier, le plus visible, est la place des femmes dans la direction des partis d’extrême droite : Marine Le Pen, dirigeante du Rassemblement National (RN) et europarlementaire en France, Giorgia Meloni, cheffe de gouvernement en Italie, Alice Weidel, figure de proue de l’Alternative Für Deutschland (AFD) en Allemagne, constituent autant de figures connues de dirigeantes de courants d’extrême droite à travers l’Union Européenne. Pour ce qui concerne la France, Marion Marechal Le Pen ou Sarah Knafo, eurodéputée également, complètent cette galerie de portraits de femmes dirigeantes.

Au-delà des figures de proue, un discours nouveau apparaît, se réclamant de la défense des droits des femmes et plus rarement du féminisme. Cette nouvelle configuration a été qualifiée de « fémonationalisme » par Magali Della Sudda (voir également Calderato Charlène), pour désigner notamment l’instrumentalisation du discours féministe sur les violences de genre à des fins de stigmatisation des populations racisées et des pays musulmans – généralement en minimisant les violences des agresseurs blancs et en maintenant des positions inégalitaires et différentialistes sur la question des rôles familiaux ou du droit à disposer de son corps.

D’où cette interrogation, qui sera le fil conducteur de cette journée d’études : quels sont les rôles que jouent les femmes dans l’extrême droite prise dans toute sa diversité actuelle (RN mais aussi Reconquête, etc.) ? Cette question centrale peut se décliner dans trois directions différentes :

  • Axe 1 : Les femmes dans l’électorat de l’extrême droite

Longtemps rétives à donner leur voix aux figures très largement masculines de ce courant politique, elles ont en France peu à peu atteint le même niveau que les hommes au cours des années 2010. Dans une toute autre configuration, le sous-vote féminin pour Donald Trump s’est au contraire encore creusé à l’occasion de l’élection de 2024. Quelles sont les facteurs spécifiques qui permettent d’expliquer la progression de l’extrême droite dans l’électorat féminin (ou, dans d’autres contextes, sa réticence et sa résistance) ? En quoi l’évolution du personnel et de l’offre politique de ce courant ont-ils joué un rôle ? En quoi la spécificité des réseaux, des socialisations politiques et des formes concrètes de médiation entre partis/médias d’extrême droite et électeur·ices permet-elle de comprendre cette évolution ?

  • Axe 2 : Les pratiques militantes

L’univers militant d’extrême droite s’est historiquement construit par un rapport à l’affrontement et à la violence, excluant la plupart des femmes des pratiques politiques et militantes. Si cette configuration machiste et agressive du rapport à la politique et à l’adversaire se maintient dans les groupuscules qui gravitent autour du RN et de Reconquête, il n’en reste pas moins que la parlementarisation, la notabilisation et la médiatisation du Rassemblement national ont ouvert d’autres espaces au militantisme féminin. Des cercles féminins lors du moment Mégret à la Manif pour tous ou, plus récemment encore, l’association Némésis, des formes d’action collective se déploient dans lesquelles des femmes d’extrême droite s’investissent. Quelles sont les trajectoires de politisation de ces militantes ? Comment leur action s’articule-elle avec l’action politique plus classique ? Des candidates, des députées et des cadres d’appareil se sont vu ouvrir des carrières politiques. Quels sont réellement, au-delà des quelques figures de dirigeantes femmes, leurs rôles dans la division du travail militant, leurs perspectives de carrière par rapport aux hommes d’extrême droite, ou leurs rôles familiaux au sein de leurs couples ?

  • Axe 3 : Les représentations des femmes 

Le dernier axe interroge les représentations des femmes dans les programmes, les discours et les pratiques de l’extrême droite. Quelle place et quels rôles sont-ils aujourd’hui accordés aux femmes dans les discours publics et nationaux, soumis en France au contrôle politique centralisé impliqué notamment par la stratégie de « dédiabolisation » du RN ? Au sein de quels conflits et compromis cette ligne a-t-elle émergé, moyennant quelles tensions et revirements vis-à-vis du vieux conservatisme, ou de l’intégrisme catholique qui fait son retour dans l’espace public national français à travers les nouveaux médias d’extrême droite ? Avec quelles contradictions par rapport aux discours plus locaux, tenus dans des cercles plus restreints, voir privés, laissant davantage libre cours aux représentations et aux dispositions les plus ancrées des élu·es, militant·es et journalistes ? Que reste-t-il de ces prises de positions dans les pays où l’extrême droite accède durablement au pouvoir, comme par exemple les États-Unis de Donald Trump ou l’Italie de Giorgia Meloni ? Dans les contextes nationaux où une vieille rhétorique patriarcale décomplexée, ouvertement opposée aux droits des femmes et à l’IVG, fait son come back, quels mécanismes sociaux et politiques permettent-ils de rendre compte de ce processus ?

Cet appel à communications s’adresse à des chercheurs et chercheuses issu.e.s de toutes les disciplines des sciences sociales (sociologie, science politique, histoire, philosophie, infocom, etc.), dans la mesure où les propositions reposent sur une méthodologie clairement explicitée et un travail empirique. Des travaux portant sur des pays de l’UE, ou sur des comparaisons internationales, seraient appréciés. 

Bibliographie indicative

  • Begous Cassandre, Gallot Fanny, « Genre et extrême droite », p. 103-116, in Palheta Ugo, coord., Extrême droite, la résistible ascension, Amsterdam, 2025 
  • Bugnon Fanny, Cleret Camille et alliFemmes contre le changement. Conservatisme, réaction et extrémisme eu Europe. XVIIIe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2024.
  • Calderaro Charlène, « Quand l’extrême droite, s’approprie le féminisme », p. 117-128 in Paletta Ugo, op.cit.
  • Cleret Camille, « Des militantes nationalistes et féministes sous la IIIIe République », in Roger-Lacan Baptiste et aliiNouvelle histoire de l’extrême droite. France 1780-2025, Paris, Seuil, 2025, p. 109-121.
  • Della Sudda Magali, Les nouvelles femmes de droite, Hors d’atteinte, 2022.
  • Dumon Bruno, Les Dames de la Ligue des Femmes françaises (1901-1914), Cerf, 2006.
  • Kandel Liliane [dir.], Féminismes et nazisme, Paris, O. Jacob, 2004.
  • Koonz Claudia, « Les femmes, le nazisme et la “banalité du mal” », p. 204-214, in Kandel, op. cit.
  • Muel-Dreyfus Francine, Vichy et l’éternel féminin. Contribution à une sociologie de l’ordre des corps, Seuil, 1996.
  • Thalmann Rita, Être femme sous le IIIe Reich, Laffont, 1981.

Modalités de soumission

Date limite : le 9 mars 2026

Les propositions de communication d’une page maximum accompagnées d’une courte bio-bibliographie devront être envoyées aux adresses mail des quatre organisateurs (mnavarre@laposte.net ; lucile.girard@u-bourgogne.fr ; brice.nocenti@u-bourgogne.fr ; georges.ubbiali@u-bourgogne.fr ).

Une réponse sera communiquée au plus tard début avril.

La version écrite des communications (35 000 signes maximum) devra être envoyée début septembre

Ajouter au calendrier Tous les événements