Populations vulnérables – n° 12, 2026
Numéro coordonné par Valeria Ayola Betancourt (EHESS, rattachée au Centre Maurice Halbwachs) et Noemi Stella (rattachée au Centre Maurice Halbwachs)
APPEL À CONTRIBUTIONS
[DL : 1er juillet 2025]
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Argumentaire
Les trajectoires des personnes sans logement personnel sont marquées par des ruptures répétées, intervenant à différents moments de la vie (enfance et adolescence, violences conjugales, migration, etc.) et engendrées par des facteurs multiples et imbriqués. La complexité des rapports sociaux de domination qui traversent ces trajectoires font l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années, mais les rapports sociaux de genre et de sexualité chez les personnes sans chez-soi demeurent peu étudiés dans la littérature française (Aranda et al., 2023).
L’attention portée au genre dans ce champ a concouru à déplacer et déconstruire le regard médiatique et stéréotypé du « SDF » en tant qu’homme alcoolique et « fou » (Hopper, 1988 ; Besozzi, 2020) et à prendre en considération les femmes sans logement personnel, ayant des caractéristiques et des besoins propres (Braud et Loison, 2022). Pensées à la frontière entre vulnérabilité et protection (Marpsat, 1999 ; Maurin, 2019) en lien avec leur surexposition aux violences masculines dans l’espace public, les femmes en errance résidentielle bénéficient d’une prise en charge institutionnelle plus importante que leur contrepartie masculine (Marcillat, 2014). Cependant, toutes les femmes ne sont pas égales face à cette protection institutionnelle, le fait d’être mère ou en âge de procréer apparaissant comme un facteur favorisant les prises en charge (Lanzaro, 2018 ; Loison et Perrier, 2019). Parallèlement, dans l’espace public, certaines femmes sont plus stigmatisées que d’autres (Gonzalez-Demichel et al., 2019) et font l’objet de discriminations particulières, par exemple les femmes roms pour qui l’imbrication des violences de genre, sexuelles et racistes limitent et sanctionnent de manière spécifique leurs déplacements (Peltier, 2024).
Ce numéro de Populations vulnérables vise à interroger comment les rapports de genre et sexualité s’imbriquent à d’autres rapports sociaux de domination (âge, classe, origine, etc.) et affectent le vécu, les trajectoires et la (non) prise en charge des personnes en errance résidentielle.
En prolongeant les publications récentes portant sur les liens entre sans-abrisme, précarité résidentielle et migration (Andro et Eloy, 2022 ; Eloy et Lièvre, 2023), nous invitons des contributions croisant les rapports sociaux de race et liés au statut migratoire, les configurations familiales, la socialisation politique et le genre (Moujoud, 2007 ; Le Bars, 2020). L’âge également pourra être analysé au prisme d’autres rapports de domination. Les difficultés spécifiques soulevées par la précarité et la prise en charge des mineur∙es non accompagné∙es commencent à être étudiées en lien avec les rapports sociaux de race (Carayon et al., 2018 ; Paté, 2018 ; Marmié, 2021). Une approche par le genre permet ainsi de visibiliser des « assignations d’identités de genre et de sexe ethnoracialisées », telles qu’elles peuvent être reproduites par exemple par les professionnel∙les de la protection de l’enfance, ou encore par des particuliers dans leurs pratiques d’hospitalité de jeunes exilés (Masson-Diez et al., 2023 ; Zougbédé, 2023). Concernant le grand-âge, des études venant questionner les politiques institutionnelles vis-à-vis des « vieux pauvres indésirables » (Rossigneux-Méheust, 2022), mais aussi leurs trajectoires hors institutions, sont les bienvenues.
Enfin, si quelques publications commencent à questionner l’organisation sexuée et cis-hétéronormée de l’hébergement en France (Marcillat et Maurin, 2018 ; Sauvaire et Stella, 2022), beaucoup reste encore à faire pour intégrer les minorités de genre et sexuelles dans les réflexions du champ de l’errance résidentielle.
Ce dossier invite ainsi à explorer en quoi une analyse conjointe des rapports sociaux de genre et sexualité et de ceux d’âge, de classe et/ou de race permet de mieux comprendre la précarité résidentielle et les catégories de l’action sociale.
Au niveau méthodologique, nous encourageons la rédaction d’articles offrant une perspective comparative, ou internationale, sur le sans-domicilisme (Loison, 2023) et les relations de domination imbriquées. L’étude de ces phénomènes, certes étroitement ancrés à une échelle locale, gagne à dépasser le cadre français, y compris dans des pays du Sud global (Huth et Wright, 1997 ; Tipple et Speak, 2006 ; Embleton et al., 2016). Si les conditions matérielles d’existence des personnes sans chez-soi et leur prise en charge diffèrent (comme c’est le cas pour les politiques du type « Housing First »), ces populations partagent un point commun : celui d’être socialement disqualifiées et de se situer à la marge de l’échelle sociale. Ce dossier invite donc à explorer plus en profondeur les effets de l’espace sur celles-ci : comment, en fonction des politiques et institutions localisées, ce public est-il identifié, pris en charge et perçu ?
Les propositions peuvent être issues de différentes disciplines (démographie, histoire, droit, sciences politiques, géographie, sociologie, anthropologie, urbanisme, etc.), mobilisant des approches quantitatives et/ou qualitatives. Nous accorderons une attention particulière aux contributions s’appuyant sur des données quantitatives, permettant d’éclairer les trajectoires et spécificités démographiques des populations sans chez soi.
Modalités de contribution
Remise des propositions d’articles à envoyer à stella_noemi@hotmail.it, valeria.ayola@ehess.fr et Virginie.Dejoux@u-bourgogne.fr, pour le 1er juillet 2025 (1 à 2 pages avec la problématique, la méthodologie et le plan de l’article).
Remise des articles définitifs pour le 15 novembre 2025.
Références bibliographiques
- Andro A. et Eloy P. (dir.) (2022), Populations vulnérables, 8, « Vivre en marge et en famille : la précarité résidentielle au cœur de l’expérience des familles en exil ». En ligne : https://doi.org/10.4000/popvuln.2594.
- Aranda M., Le Goff G. et Lévy J. (2023), « Avant-propos. Saisir le sans-abrisme : cadrages, expériences, politiques », Revue française des affaires sociales, p. 7-25. En ligne : https://doi.org/10.3917/rfas.231.0007.
- Besozzi T. (2020), Idées reçues sur les SDF : regard sur une réalité complexe, Paris, Le Cavalier bleu. En ligne : https://doi.org/10.3917/lcb.besoz.2020.01.
- Braud R. et Loison M. (2022), « Le sans-abrisme au féminin. Quand les haltes pour femmes interrogent les dispositifs d’urgence sociale », Travail, genre et sociétés, no 47, p. 131-147. En ligne : https://doi.org/10.3917/tgs.047.0131.
- Carayon L., Mattiussi J. et Vuattoux A. (2018), « “Soyez cohérent, jeune homme !” Enjeux et non-dits de l’évaluation de la minorité chez les jeunes étrangers isolés à Paris », Revue française de science politique, no 68, p. 31-52. En ligne : https://doi.org/10.3917/rfsp.681.0031.
- Damon J. (2010), Questions sociales et questions urbaines, Paris, Presses universitaires de France. En ligne : https://doi.org/10.3917/puf.damon.2010.01.
- Damon J. (2021), « Sans domicile fixe (SDF) et sans-abri. Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? », Population & Avenir,no 751, p. 17-19. En ligne : https://doi.org/10.3917/popav.751.0017.
- Eberhard M., Garcin E., Quere M. et Segol E. (2016), Les femmes seules dans le dispositif de veille sociale : une enquête auprès du public accueilli à l’ESI « Halte Femmes », Paris, Observatoire du Samusocial de Paris. En ligne : https://www.samusocial.paris/sites/default/files/2018-10/enqueteesi_vf_0.pdf.
- Eloy P. et Lièvre M. (2023), « Migrations et sans-abrisme : recherches en sciences sociales de 1970 à 2020 », Revue française des affaires sociales, p. 75-86. En ligne : https://doi.org/10.3917/rfas.231.0075.
- Embleton L., Lee H., Gunn J., Ayuku D. et Braitstein P. (2016), « Causes of Child and Youth Homelessness in Developed and Developing Countries: A Systematic Review and Meta-analysis », JAMA Pediatrics, no 170, p. 435-444. En ligne : https://doi.org/10.1001/jamapediatrics.2016.0156.
- Gonzalez-Demichel C., Filatriau O., Bernardi V., Guedj H., Moreau A., Razafindranovona T. et Zilloniz S. (2019), « Cadre de vie et sécurité 2019. Victimation, délinquance et sentiment d’insécurité », rapport d’enquête, SSMSI. En ligne : https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/L-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-CVS/Rapport-d-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-2019.
- Hopper K. (1988), « More than Passing Strange: Homelessness and Mental Illness in New York City », American Ethnologist, no 15, p. 155-167. En ligne : https://doi.org/10.1525/ae.1988.15.1.02a00100.
- Huth M. J. et Wright J. T. (1997), International Critical Perspectives on Homelessness, Westport (CT), Praeger.
- Jaspard M., Brown E., Condon S., Fougeyrollas-Schwebel D., Houel A., Lhomond B., Maillochon F., Saurel-Cubizolles M. et Schiltz M. (2002), Les violences envers les femmes en France : une enquête nationale, Paris, La Documentation française.
- Lanzaro M. (2018), « Femmes et hommes sans-domicile : un traitement préférentiel ? », in Lambert A., Dietrich-Ragon P. et Bonvalet C. (dir.), Le monde privé des femmes, Paris, Ined Éditions, p. 173-192. En ligne : https://doi.org/10.4000/books.ined.17370.
- Le Bars J. (2020), « Le genre du squat : politisation et intimités chez des femmes sans-papiers », Genèses, no 120, p. 70-90. En ligne : https://doi.org/10.3917/gen.120.0070.
- Loison M. (2023), « Le sans-domicilisme. Réflexion sur les catégories de l’exclusion du logement », Revue française des affaires sociales, p. 29-50. En ligne : https://doi.org/10.3917/rfas.231.0029.
- Loison M. et Perrier G. (2019), « Les trajectoires des femmes sans domicile à travers le prisme du genre : entre vulnérabilité et protection », Déviance et Société, no 43, p. 77-110. En ligne : https://doi.org/10.3917/ds.431.0077.
- Marcillat A. (2014), Femmes sans-abri à Paris. Étude du sans-abrisme au prisme du genre, Paris, EHESS, mémoire de sociologie. En ligne : https://caf.fr/sites/default/files/medias/cnaf/Nous_connaitre/Recherche_et_statistiques/Dossiers_d_etudes/2014_DE_170_Femmes_sans-abri_Paris_CNAF.pdf.
- Marcillat A. et Maurin M. (2018), « Singularisation, différenciation : pratiques de la (non)mixité dans l’intervention sociale auprès des personnes sans abri », Nouvelles questions féministes, no 37, p. 90-105. En ligne : https://doi.org/10.3917/nqf.372.0090.
- Marmié C. (2021), « “Enfants d’ailleurs”. La protection de l’enfance à l’épreuve des migrations juvéniles internationales », Vie sociale, no 34-35, p. 221-236. En ligne : https://doi.org/10.3917/vsoc.212.0221.
- Marpsat M. (1999), « Un avantage sous contrainte : le risque moindre pour les femmes de se trouver sans abri », Population, no 54, p. 885-932. En ligne : https://doi.org/10.3917/popu.p1999.54n6.0932.
- Masson-Diez É., Sebillotte O. et Gerbier-Aublanc M. (2023), « Genre et race dans les relations d’hospitalité. Quand des femmes blanches accueillent des hommes noirs », Cahiers du genre, no 75, p. 257-281. En ligne : https://doi.org/10.3917/cdge.075.0257.
- Maurin M. (2017), « Femmes sans abri : vivre la ville la nuit. Représentations et pratiques », Les Annales de la Recherche urbaine, no 112, p. 138-149. En ligne : https://doi.org/10.3406/aru.2017.3247.
- Maurin M. (2019), « La vulnérabilité de genre comme problème public : ethnographie d’un lieu d’accueil et d’hébergement de femmes itinérantes à Montréal », Sociologie et Sociétés, no 51, p. 201-223. En ligne : https://doi.org/10.7202/1074735ar.
- Moujoud N. (2007), Migrantes, seules et sans droits, au Maroc et en France : dominations imbriquées et résistances individuelles, Paris, EHESS, thèse d’ethnologie et anthropologie sociale.
- Paté N. (2018), L’accès – ou le non-accès – à la protection des mineur·e·s isolé·e·s en situation de migration. L’évaluation de la minorité et de l’isolement ou la mise à l’épreuve de la crédibilité narrative, comportementale et physique des mineur·e·s isolé·e·s, Paris X Nanterre, thèse de sociologie.
- Peltier E. (2024), « “C’est dangereux !” L’accès à l’espace public des femmes roms en situation de vulnérabilité résidentielle restreint par les violences de genre et les violences racistes », Genre, sexualité & société, no 32. En ligne : https://doi.org/10.4000/12xud.
- Pichon P. (2009), SDF, sans-abri, itinérant, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain. En ligne : https://books.openedition.org/pucl/504.
- Rossigneux-Méheust M. (2022), Vieillesses irrégulières, Paris, La Découverte.
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- Tipple A. et Speak S. (2006), « Who is homeless in developing countries? Differentiating between inadequately housed and homeless people », International Development Planning Review, no 28, p. 57-84. En ligne : https://doi.org/10.3828/idpr.28.1.3.
- Zougbédé É. (2023), « Augurer du genre. L’ambivalence des rapports aux identités de genre et de sexe ethnoracialisées dans le travail social auprès de jeunes migrants », Revue des politiques sociales et familiales, no 146-147, p. 97-112. En ligne : https://doi.org/10.3917/rpsf.146.0097.